… Durant presque une demi-heure, je déambulai dans les mystères de ce labyrinthe qui sentait le vieux papier, la poussière et la magie. Je laissai ma main frôler les rangées de reliures exposées, en essayant d’en choisir une. J’hésitai parmi les titres à demi effacés par le temps, les mots dans des langues que je reconnaissais et des dizaines d’autres que j’étais incapable de cataloguer.
Je parcourus des corridors et des galeries en spirale, peuplés de milliers de volumes qui semblaient en savoir davantage sur moi que je n’en savais sur eux. Bientôt, l’idée s’empara de moi qu’un univers infini à explorer s’ouvrait derrière chaque couverture tandis qu’au delà de ces murs le monde laissait s’écouler la vie en après-midi de football et en feuilletons de radio, satisfait de n’avoir pas à regarder beaucoup plus loin que son nombril.
Est-ce à cause de cette pensée, ou bien du hasard ou de son proche parent qui se pavane sous le nom de destin, toujours est-il que, tout d’un coup, je sus que j’avais déjà choisi le livre que je devais adopter. Ou peut-être devrais-je dire le livre qui m’avait adopté. Il se tenait timidement à l’extrémité d’un rayon, relié en cuir lie-de-vin, chuchotant son titre en caractères dorés qui luisaient à la lumière distillée du haut de la coupole. Je m’approchais de lui et caressai les mots du bout des doigts en lisant en silence : L’Ombre du Vent – Julian Carax.
Je n’avais jamais entendu mentionner ce titre ni son auteur, mais cela n’avais pas d’importance. La décision était prise. Des deux côtés. Je pris le livre avec les plus grandes précautions et le feuilletai, en faisant voleter les pages. Libéré de sa geôle, il laissa échapper un nuage de poussière dorée. Satisfait de mon choix, je rebroussais chemin dans le labyrinthe, le volume sous le bras, le sourire aux lèvres. Peut-être avais-je été ensorcelé par l’atmosphère magique du lieu, mais j’avais la certitude que ce livre m’avait attendu pendant des années, probablement bien avant ma naissance…
Carlos Ruiz Zafon : L'Ombre du vent, Livre de poche 30473, 2006. Pour son quatrième roman, simplement 15 millions d'exemplaires vendus à ce jour ... A lire sans tarder, un chef d'oeuvre !
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